(Un monstruo de mil cabezas)
Source fiche technique : Wikipedia
Une femme mariée à un homme souffrant d’un cancer en phase terminale décide de s’adresser au docteur Villalba, médecin coordinateur de la compagnie d’assurance de son mari, seul habilité à délivrer l’autorisation d’administrer les médicaments dont a besoin l’homme en souffrance. Mais le médecin refuse de la voir et de donner suite à ses appels, et se protège derrière une série de barrières administratives. Désespérée, Sonia tente alors de trouver le médecin à son domicile pour l’obliger à lui fournir une réponse. Elle emmène avec elle son fils Dario, ainsi qu’un pistolet. Bientôt, face à l’absence de réaction du docteur, elle provoque un engrenage de violence en spirale qui va la mener, en une sombre et unique nuit, jusqu’au bout de la détresse.
Le nouveau film de Rodrigo Pla est sec, dur, tendu d’un bout à l’autre. Dominé par une esthétique très travaillée, il n’en est pas pour autant esthétisant. Son formalisme est constitué d’une série de choix, toujours intelligents, pour raconter une scène et mettre en valeur la tension qui s’en dégage. Commençant par un long plan noir et se terminant par la seule touche d’humour et de tendresse du scénario, il décrit d’un seul trait tendu cette traversée infernale et nocturne d’une femme comme les autres qui bascule soudain dans la violence pour tenter de sauver son mari de la mort en se battant au corps à corps contre une administration médicale déficiente.
Le cinéma de Pla est fait de plans très cadrés, souvent coupés en deux, jouant constamment sur les reflets, l’immensité des espaces dans lesquels déambulent ses personnages, vus par une caméra systématiquement fixe, qui joue énormément sur les hors-champs, les bords-cadres, les sons in et off. Les choix de focale sont sciemment travaillés, eux aussi : souvent, l’action principale est plongée, au second plan, dans le flou, tandis que la caméra fait le point sur un premier plan insignifiant, donnant à son film des allures de thriller social en faisant monter la tension de chaque scène, parfaitement interprétée par un beau panel d’acteurs.
De même que nous sommes dès le départ plongés dans le noir, traversé par les gémissements de souffrance du mari mourant, le film, du fait de l’absence quasi totale de musique, semble plongé dans le silence, d’où se détachent au rasoir les quelques phrases échangées entre les personnages, les cris, les coups de feu qui viennent soudain déchirer la bande son.
Le scénario décrit un drame, mais sans mélodrame. Le point de vue change de personnage en cours de route, passant sciemment de Sonia à ses otages, puis à son fils. Nous n’avons donc jamais le temps de ressentir une empathie prolongée pour Sonia, ni pour ses victimes. Le regard de Pla et le scénario (écrit par sa femme, Laura Santullo, et adapté de son roman) ne donnent jamais prise au jugement, au point que l’on finit par avoir un doute sur l’ambiguïté du titre du film : ce monstre à mille têtes, c’est bien sûr l’administration médicale mexicaine qui choisit, malgré les assurances, qui soigner et qui laisser mourir, pour des raisons purement cyniques liées aux primes dont bénéficient les médecins lorsqu’ils n’autorisent pas certains traitements médicaux très onéreux. Mais le personnage de Sonia est lui aussi traversé d’ambiguïtés, et si sa rage est compréhensible dès le départ, la spirale violente dans laquelle elle emmène son fils et ses otages acquiert elle aussi une forme de monstruosité dont on ne parvient jamais à s’extirper complètement.
Structurellement, le montage utilise quelques ressorts pour nous faire ressentir cette multitude de points de vue : courts retours en arrière à certains moments clefs, la même scène étant reprise, une première fois du point de vue de Sonia, puis du point de vue d’un témoin. Surtout, une distanciation s’opère naturellement chez le spectateur à partir du moment où apparaissent, en voix off, les témoignages du procès, dont on ne voit rien mais dont on comprend qu’il est la conclusion de cette nuit de perdition. Ces témoignages ajoutent une couche narrative discrète mais redoutablement efficace au film, en nous signifiant que nous sommes bel et bien en train d’assister à un drame, mais sans y mettre le moindre pathos. Les dernières images du film, divisant l’écran en une série de caméras de surveillance issues du procès, tirent un trait élégant sur cette prise de distance d’une aventure tournant au cauchemar dont nous avons été les témoins haletants durant soixante-quatorze intenses minutes.
Mi thriller, mi critique sociale, Un Monstre à Mille Têtes parvient au final à exprimer, d’une manière formelle mais déchirante, une forme de détresse quotidienne dont Rodrigo Pla s’est fait une spécialité de décrire les arcanes.