(Svet-Ake)
Source fiche technique : Wikipedia
Svet-Ake, dit Monsieur Lumière, est un électricien vivant et travaillant dans un petit village du Kirghizistan perdu au milieu des montagnes. Il s’occupe de l’entretien des lignes électriques, mais aussi de détourner l’électricité de celles-ci et de trafiquer les compteurs pour rendre service aux plus pauvres dans son village. Il est aussi conseiller, ami de tous, mari aimant et père d’une ribambelle de filles. Son rêve est d’installer des éoliennes sur les montagnes pour alimenter toute la vallée en électricité.
Mais il se heurte, non seulement à la compagnie d’électricité avec laquelle il joue à cache-cache, mais surtout à une nouvelle génération de politiciens corrompus, rapidement enrichis au contact de leurs clients mafieux russes et chinois, et prêts à racheter tous les terrains environnants pour de juteux contrats, sans aucune considération pour le bien-être des habitants du village, faiblement protégés par un prétoire patriarcal d’Anciens. La confrontation, d’abord sous-jacente, tourne bientôt à la tragédie pour le petit électricien.
Aktan Arym Kubat, jusqu’alors connu sous le patronyme d’Aktan Abdykalikov, (il a récemment adopté le nom de son père biologique pour marquer sa prise de distance avec l’influence de la Russie sur son pays), qui nous était déjà connu pour sa belle trilogie autobiographique (La Balançoire, Le Fils Adoptif, Le Singe), est le principal représentant du cinéma kirghize depuis l’indépendance du pays en 1991. Dans Le Voleur de Lumière, il choisit de nous faire le récit d’une fiction tragique, presque sous la forme d’un conte, sur un ton à la fois détaché, légèrement ironique, et poignant. De son propre aveu, il souhaitait faire « un film sans scénario ». Après une très longue recherche de financements (plus de neuf ans), le film a cependant pris une forte coloration politique, en dénonçant de manière intime et dramatique un système socio-politique gangréné par la corruption et le népotisme nourris par les puissants voisins du Kirghizistan : Russie et Chine.
Cet aspect politique qui traverse le film de part en part ne lui enlève pourtant rien de sa dimension poétique, telle qu’on la trouvait déjà dans la trilogie précédente. Par le biais de beaux plans aux teintes froides, de choix originaux d’angles de caméra (souvent suspendus à des grues, rappelant ainsi l’élévation des poteaux électriques auxquels s’accroche le personnage principal, merveilleusement interprété par le réalisateur lui-même), d’un rythme lent sans être lourd, d’un vrai plaisir de la contemplation d’un environnement naturel austère mais puissant, ainsi que de la subtilité du jeu des acteurs, modeste et juste, Kubat nous offre en à peine plus d’une heure un conte social cruel et poignant.
Kubat qualifie son style cinématographique de « cinéma subjectif », préférant cette expression à « cinéma d’auteur ». Le personnage qu’il incarne avec beaucoup de justesse, et qu’il qualifie lui-même d’ « ange sans ailes », a des allures de Candide bricoleur et généreux, d’homme enfant très débrouillard au milieu de la petite communauté rurale dont il fait figure de ciment social, mais perdu face à la violence cynique de nouveaux riches corrompus, dont la respectabilité apparente (costard cravate et voitures 4/4) est rapidement contredite par la violence de leur clientélisme, résumé dans une étonnante scène d’orgie misérable dans une yourte. Le vocabulaire poétique du film, simple et beau, joue sur l’évocation de quelques éléments : la « lumière » (c’est à dire en fait l’électricité), le vent (dont les bourrasques traversent le pays et la bande sonore du film), la terre (qui soigne les vivants et accueille les morts). La violence des rapports humains, toujours latente, jamais mélodramatique, trouve une figure allégorique à travers la scène de bouzkachi, cette traditionnelle course à cheval lors de laquelle les concurrents se disputent une dépouille de mouton – et dont la scène finale d’exécution se fait l’écho sinistre.
A cette poésie des éléments, Kubat trouve des correspondances visuelles saisissantes, toujours centrées autour de la petite figure de son personnage comico-tragique, dont le dur métier lui impose souvent d’être suspendu à un poteau électrique ou à l’une des machines qu’il conçoit, entre Tinguely et le facteur Cheval, capteuses de vent et génératrices d’énergie, mettant ainsi en valeur un environnement à la beauté dure, un désert de plaines caillouteuses ceintré de montagnes qui forment à la fois son horizon naturel et les murs de sa prison économique.
Un film touchant et élégant, qui évoque un sujet grave sur un ton subtilement léger, et fait passer son message politique par petites touches subtiles, presque sans avoir l’air d’y toucher.