As bestas

As bestas

Rodrigo Sorogoyen, Espagne, 2022

2h17min

Thriller, drame

Antoine et Olga, un couple de Français, sont installés depuis longtemps dans un petit village de Galice. Ils ont une ferme et restaurent des maisons abandonnées pour faciliter le repeuplement. Tout devrait être idyllique mais un grave conflit avec leurs voisins fait monter la tension jusqu’à l’irréparable…

As Bestas s’ouvre sur une scène filmée au ralenti qui semble aux premiers abords contraster avec le reste du film : des aloitadores – dont le travail est de rassembler des chevaux sauvages en les immobilisant à main nue afin de leur couper les crins, les marquer, et éventuellement les soigner – sont filmés durant leur travail, avec une musique menaçante qui couvre tout le reste. Bien que le film ne soit pas en rapport direct avec cette tradition galicienne, cette scène d’ouverture semble raisonner dans chaque séquence, symbolisant la confrontation et l’entrave à la liberté. Elle fait par ailleurs écho à la scène centrale du film, qui constitue sans doute l’apothéose de la violence. 

Le film est construit autour d’une violence en crescendo, accompagnée d’un tension constante jusqu’à la dernière scène. Cette tension est construite grâce à la longueur des plans, qui sont souvent des plans-séquence, mais aussi par le rythme du montage. Des plans se répètent, de façon plus anxiogène à chaque fois, avec une menace qui se rapproche, que ce soient les scènes dans un café, dans un potager, ou encore dans la foret. Cette logique de répétition qui permet d’installer un quotidien, nous montre aussi, à nous spectateur, à quel point ce quotidien peut être chamboulé en quelques instants. Ces éléments combinés donnent l’impression au spectateur que la violence est toujours sur le point d’éclater. Celui-ci est donc toujours aux aguets, telle une proie qui peut être surprise à tout instant. En effet, il n’est pas étonnant que le spectateur se sente comme une proie piégée, car les personnages se comportent comme des bêtes agissant avec leur instinct primaire, sans passer par la raison. Tout d’abord, la compréhension entre les personnages est mise à mal par le fait qu’ils ne parlent pas tous la même langue. Le couple que l’on suit est français, et vient de s’installer dans cette région où l’on parle principalement le galicien, langue co-officielle avec l’espagnol. Mais ce n’est pas la seule raison qui explique que le dialogue soit impossible : ce couple de français et les gens locaux ne viennent pas du même monde et n’ont pas eu les mêmes chances. Le personnage principal, Antoine, est un professeur retraité qui a beaucoup voyagé, et surtout qui a eu la possibilité de choisir l’endroit où il souhaitait finir ses jours, tandis que les autres personnages ne sont pas restés dans ce village par choix. Les habitants locaux ne connaissent que leur village et leur langue et n’ont pas eu le privilège de sortir de chez eux depuis plusieurs générations. Les deux frères qui s’opposent à ce couple français sont représentés comme violents et antipathiques durant tout le film, mise à part une scène où le grand frère parvient à expliquer sa colère et sa jalousie face au professeur retraité. Bien que leurs actions n’en soient pas pour autant justifiées, le spectateur comprend alors enfin leur point de vue et empathise même pendant quelques instants avec eux. Ce sont des gens qui ont perdu leur individualité et qui tendent donc à se confondre avec les bêtes qu’ils élèvent. Ayant toujours vécu dans l’isolement, ils sont par conséquent incapables de comprendre d’autres humains. 

Cette confrontation, enclenchée par un désaccord à propos d’une signature pour autoriser ou non la construction de nouvelles éoliennes dans la région, révèle une lutte des classes, qui amène à un désespoir, qui conduit alors à des actions irréparables. Ces éoliennes sont d’ailleurs exposées plusieurs fois, à chaque fois plus imposantes et hypnotisantes, comme si elles avaient le pouvoir d’aliéner les personnages un par un. 

Finalement, chaque personnage est entravé à sa façon, que ce soit par manque d’argent et de moyen, ou par la peur d’être attaqué par ses voisins, ou alors entravé par le deuil et l’impossibilité de tourner la page tant qu’on n’a pas les réponses à nos question. Le film, qui met aussi en avant des paysages magnifiques qui s’étendent à perte de vue, raconte aussi qu’il ne suffit pas de ne pas être emprisonné derrière des barreaux pour se sentir coincé. 

Madeleine Lèbre

Bande annonce

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