Meurtre dans un jardin anglais
Peter Greenaway, Grande-Bretagne, 1982
1h45min
Comédie dramatique

À la fin du XVIIe siècle en Angleterre, Mrs Herbert demande à Mr Neville, un peintre-paysagiste réputé, d’effectuer douze dessins du domaine de son mari. En contrepartie, elle s’engage à laisser l’artiste jouir de ses faveurs. Ce dernier acceptera le marché et comprendra trop tard qu’il a été utilisé pour servir un tout autre but.
Meurtre dans un jardin anglais débute avec une séquence qui place le spectateur dans une atmosphère caricaturale du 17ème siècle, entre perruques, maquillages et conciliabules. On assiste à des conversations mondaines qui semblent cacher une certaine hypocrisie chez la classe aristocratique, avec notamment l’utilisation du clair-obscur, qui pourrait symboliser la malhonnêteté et les secrets qui se dissimulent derrière les apparences. La caméra garde ses distances, comme pour apporter un certain recul sur ce qu’elle représente et pour se placer en tant que critique de cette société. De cette manière, la moquerie de la classe aristocratique est présente dès le début du film et se fait sentir tout du long.
Cette première séquence, qui se distingue du reste du film, donne le sentiment d’assister à une manigance, une énigme que le spectateur ne peut encore résoudre. Son rôle sera d’assembler les pièces du puzzle tout au long du visionnage, afin de révéler les corruptions que cachent ces visages maquillés.
La suite du film prend place dans un immense domaine anglais dominé par un paysage symétrique, mis en avant notamment par des plans d’ensemble. Le paysage devient un personnage à part entière. Il est vivant et disperse des indices pour le spectateur qui est pris à parti dans cette énigme. Les plans d’ensemble marquent l’ironie de ce mystère, car tous les éléments pour suspecter un complot sont mis sous les yeux du dessinateur, M. Neville, et du spectateur, et pourtant la vérité échappe à chacun. Les cadres dans le cadre construits à partir du matériel optique de M. Neville, dont on suit le travail, participent aussi à brouiller les pistes de l’enquête. De fait, le double cadre nous fait oublier la présence fantôme du hors champ et des indices qu’il peut contenir.
La symétrie et les lignes de fuites qui sont très marquées à l’image rappellent la rigueur du personnage autoritaire de M. Neville, qui est lui-même obsédé par la précision et la volonté de représenter ce qu’il voit et non ce qu’il pourrait percevoir de ces paysages. Ces éléments donnent l’impression au spectateur que le personnage a pris le contrôle du domaine, mais aussi des autres protagonistes. Sa commande a en effet été acceptée sous un drôle de contrat : les faveurs de la maîtresse du domaine. Neville semble donc dominer, il a le contrôle de l’espace et soumet la commanditaire à ses désirs charnels, plutôt violents. Tout paraît ainsi être au service de cet homme qui pourtant vient d’une classe défavorisée. Enfin, le sentiment qu’il est maître du lieu et de ses habitants est accentué par sa voix off qui dicte des règles et des conditions pour l’exécution de ses dessins, se prenant ainsi comme « maitre et possesseur de la nature » et des représentants de la classe dominante, qu’il méprise par ailleurs. Bien que le spectateur partage le point de vue narratif de M. Neville, il se rend compte peu à peu de l’inversion des rapports de force entre le dessinateur et les femmes du domaine, mère et fille, qui cachent sous leurs airs innocents des desseins inattendus.
On retiendra de ce film la volonté de Peter Greenaway de créer un univers irréel et mécanique, non une réalité mimétique. Cette mécanisation est rendue tout d’abord par un montage non fluide aux coupes visibles, ainsi que par une caméra toujours très frontale et peu mobile. Une artificialité se dégage alors de ces plans, tout comme le caractère des personnages, qui entretiennent des relations hypocrites. La caméra garde d’ailleurs toujours de la distance avec ces personnages qui se déplacent peu dans le cadre et qui paraissent très statiques, comme des marionnettes sans pensées ni conscience. On ressent vivement l’ironie du réalisateur face à cette classe aristocrate pervertie et sans pitié.
Madeleine Lèbre
Bande annonce
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