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Dans les années 1930, Célestine, une femme de chambre de 32 ans, arrive de Paris pour entrer au service d’une famille de notables résidant au Prieuré, leur vaste domaine provincial. La maîtresse de maison, hautaine et dédaigneuse avec sa domesticité, est une puritaine frigide, maniaque du rangement et obsédée par la propreté. Célestine doit affronter les avances du mari sexuellement frustré, et elle gère avec toute la sérénité possible le fétichisme étrange du patriarche, un ancien cordonnier qui lui demande fréquemment de porter des bottines qu’il tient jalousement enfermées dans un placard.
Malgré sa répugnance, Célestine est contrainte de côtoyer Joseph, le palefrenier au service de ses patrons depuis plus de quinze ans, un rustre aimant faire souffrir les animaux, raciste, antisémite et militant d’extrême droite1 qui a des vues sur elle, l’associant à son projet de s’établir comme bistrotier à Cherbourg. Claire, une petite fille pour laquelle Célestine s’est prise d’affection, est violée et assassinée dans la forêt peu après y avoir croisé Joseph. Malgré une enquête de la police, le coupable n’est pas démasqué. Célestine est persuadée de la culpabilité de Joseph et feint d’accepter de devenir sa femme pour obtenir ses aveux. Devant son mutisme, elle fabrique de faux indices pour le confondre, tout cela en pure perte, car il est finalement innocenté et s’en ira ouvrir son bistro avec une autre femme.
Parallèlement, Célestine a entrepris de se faire épouser par un voisin de ses patrons, l’ex-capitaine Mauger, un retraité aisé, autoritaire et tonitruant qu’elle domine cependant en exerçant subtilement son pouvoir de séduction. Elle l’asservira une fois devenue sa femme. [Wikipedia]
Le journal d’une femme de chambre de Luis Buñuel (1964) NB d’après le roman d’Octave Mirbeau ;
Luis Buñuel adapte le roman d’Octave Mirbeau en le transposant dans les années 30. Le cinéaste abandonne la voix off du livre, le regard subjectif de Célestine. Les personnages se déploient donc d’une manière autonome dans l’espace bourgeois du château des Monteil. Célestine vient de Paris, auréolée d’un parfum sulfureux, travailler comme domestique au service du vieux Monteil fantasque fétichiste du pied. Sa fille est une maniaque du ménage, frigide et psychorigide. Son mari (Michel Piccoli) exerce avec veulerie son droit de cuissage sur toutes les bonnes qui passent. La classe dominante est oisive : côté masculin on tire à la carabine, on joue aux cartes, on lutine, on cherche noise à son voisin ; côté féminin, on gère la maison, on reçoit le curé du village. Cette haute bourgeoisie terrienne semble intemporelle. Côté dominés, Joseph le palefrenier exerce un pouvoir mauvais. Obséquieux, cruel, c’est un extrémiste d’Action française.
Célestine tel le visiteur de Théorème va défaire les hypocrisies, mettre à nu les rouages qui motivent les personnages. Tous les hommes la désirent. Elle peut ainsi explorer les deux mondes, se jouer de l’un comme de l’autre. A la mort du vieux elle décide de partir puis renonce pour mieux punir Joseph qu’elle sait coupable de l’assassinat d’une petite fille. Sa psychologie reste pourtant opaque. Est-elle une justicière ? Cherche-t-elle seulement à se fondre dans la bourgeoisie, à adopter ses codes ?
Les dernières images renvoient comme souvent dans l’univers buñuelien à la défaite morale et à la décomposition d’un monde où le mal triomphe. Célestine a peut-être tenté de changer le cours des choses mais si maladroitement que le cynisme et l’impunité sont au bout du compte le seul horizon réellement accessible. Inaugurant le cycle de films tournés en France, Buñuel, le surréaliste du Chien andalou prolonge une critique au vitriol de la société bourgeoise.
Annie Demeyere