La Vie invisible d’Eurídice Gusmão

 

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FICHE TECHNIQUE

 

Source fiche technique  : Wikipedia 

RESUME

Rio de Janeiro, 1950. Euridice, 18 ans, et Guida, 20 ans, sont deux soeurs inséparables. Elles vivent chez leurs parents et rêvent, l’une d’une carrière de pianiste, l’autre du grand amour. A cause de leur père, les deux soeurs vont devoir construire leurs vies l’une sans l’autre. Séparées, elles prendront en main leur destin, sans jamais renoncer à se retrouver.

CRITIQUE

Dans le Rio de Janeiro des années 50 vivent auprès de leurs parents immigrés portugais deux sœurs que lie une profonde tendresse. L’une, Eurídice, sérieuse, timide, est une pianiste promise à une carrière de virtuose, l’autre, Guida plus délurée a l’habitude de faire le mur pour rejoindre son amant grec. Les deux jeunes filles, deux beautés brunes, écrasées par le poids du patriarcat, assignées au seul rôle d’épouse et de mère vont vivre l’injustice de la séparation. Le film s’ouvre sur la baie de Rio avec au loin le Pain de Sucre, paysage ample que regardent les deux sœurs comme un appel à la liberté. La forêt tropicale attire Guida vers le puits d’ombre de ses fantasmes. Ce plan énigmatique est une métaphore du récit à venir, comme la jeune fille dans le film Picnic at Hanging Rock de Peter Weir disparait dans le chaos rocheux. La mise en scène suit sur plus de cinquante ans les jeunes femmes dans leur bataille pour exister contre les maris, les pères, les amants volages. Qu’on cède au vent de la liberté comme Guida qui fuit avec son marin grec, se retrouve enceinte puis abandonnée, ou bien qu’on accepte comme Euridice un mari sans envergure, leurs destins se ressemblent.

Mélodrame flamboyant de l’amour sororal éclairé par la lumière d’Hélène Louvart, tragédie du malentendu qui jusqu’au bout interdit les retrouvailles, l’histoire s’organise autour des lettres que Guida, adresse à Eurídice. Le secret perpétue le mensonge d’une vie viennoise épanouie quand Eurídice n’est rien d’autre que le double mélancolique, résigné de sa sœur Guida. Chacune est le miroir de l’autre. Le confort bourgeois d’Eurídice est une prison à peine moins verrouillée que la favela qui accueille Guida et son enfant. Le film alterne les deux univers opposés, deux mondes objectifs mais unifiés par le regard commun des deux sœurs rebelles, presque jumelles, tendues vers la certitude d’une autre vie. D’un côté la musique sensuelle des bals tropicaux, les peaux qui se frottent et s’excitent dans les couleurs rougeoyantes, les corps lascifs des nuits chaudes, de l’autre les corvées domestiques, le devoir conjugal…Leur correspondance croisée à contretemps, nous bouleverse. Le cinéaste met le spectateur dans la confidence.

Après une ellipse de quelques années, on retrouve Guida bien intégrée parmi les femmes de la favela. Elle élève son fils dans la solidarité et la gaité des prostituées, point de vue du cinéaste qui sonne comme un manifeste féministe. Une formalité vient rappeler Guida à son statut d’éternelle mineure. Décidée à entreprendre avec son fils un voyage à Vienne, on ne lui permet pas de voyager sans l’autorisation paternelle.

Une deuxième ellipse, beaucoup plus longue, donne aux séquences temporelles une nouvelle densité. Eurídice est une vieille dame veuve entourée de ses enfants et de ses petits-enfants. Seule la mort de son mari ouvrira la boite de Pandore.

Elles ne sont pas quatre sœurs comme dans Mustang, de Deniz Gamze Ergüven soumises à la loi paternelle, mais deux. Les deux portraits de femmes sont brossés par une caméra enveloppante, au trait un peu appuyé mais emportée par le souffle de la vie. L’espoir est là qu’incarnent leurs enfants. La dernière image referme la boucle. Comme dans le prologue, elles dansent, jeunes et belles au sommet de la montagne. Le cinéma a le pouvoir d’effacer les souffrances, de conclure par une scène orphique l’histoire douloureuse d’un amour sororal.

Annie Demeyere