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FICHE TECHNIQUE

 

Source fiche technique  : Wikipedia 

RESUME

Une grande et belle propriété sur la Côte d’Azur. Un endroit qui semble hors du temps et protégé du monde. Anna arrive avec sa fille pour quelques jours de vacances. Au milieu de sa famille, de leurs amis, et des employés, Anna doit gérer sa rupture toute fraîche et l’écriture de son prochain film. Derrière les rires, les colères, les secrets, naissent des rapports de dominations, des peurs et des désirs. Chacun se bouche les oreilles aux bruits du monde et doit se débrouiller avec le mystère de sa propre existence.

CRITIQUE

Si je dois marquer cet automne par un autre événement, c’est celui de l’aubaine et le privilège d’avoir vu à titre privé le film récent de Valéria Bruni-Tedeschi, Les estivants, présenté à la Mostra de Venise au début de ce mois de septembre. Valéria « se risque » encore en exposant ce que le spectateur suppose aisément : les anecdotes du récit furent vécues. Dans les années soixante-dix, le cinéma connut le mépris pour la mise en scène des sentiments, « nettoyée » par la sémiologie, la psychanalyse, le marxisme, le structuralisme, et la vocation précoce du cinéma à décrire les désarrois de l’amour devint suspecte. Valéria Bruni-Tedeschi ose un « réalisme sentimental » en s’autorisant à représenter les douleurs de l’amour, ses chagrins et ses déceptions, ses blessures et ses illusions mis aux postes de commande du récit. Ses personnages favorisés par l’origine sociale semblent soudain minoritaires au sein d’un cinéma culpabilisé aujourd’hui par les grands phénomènes sociaux contemporains : l’émigration et les conséquences des catastrophiques périphéries urbaines. Mais Valéria Bruni- Tedeschi retrouve-t-elle l’audace d’un Jean Renoir qui annonçait à la fin des années trente, avec sa Règle du jeu, les périls à venir depuis les querelles sentimentales d’une vingtaine de bourgeois enfermés dans un château de Sologne ? Je le crois…

Valéria Bruni Tedeschi s’instaure encore en personnage central du film mais en conférant au projet narratif de ce dernier la vocation de la dissoudre et de la faire s’effacer au profit d’autres personnages. Cette communauté familiale réunie pour l’occasion de l’été est la plaque sensible d’un certain nombre de conflits dont on oublie que certains furent jadis qualifiés de « classe ».

Le film sortira en janvier 2019 accompagné par une rétrospective à la Cinémathèque française de ses films précédents ; il rappelle l’atavisme italien de « la » Bruni-Tedeschi, tant elle retrouve certains procédés felliniens qui consistent à mêler, à l’instar de  8 1/2, la réalité et le songe sans ponctuations filmiques. Le final de ses Estivants – titre tchékhovien qu’un Visconti aurait pu également emprunter – rappelle en outre l’évidence antonionienne qui consistait à manipuler des effets climatiques (la brume), restitués artificiellement ou non, pour suggérer les incertitudes de l’âme.

L’actrice-réalisatrice bouleverse en mêlant l’abattement douloureux du corps et les désarrois burlesques. Je songeais qu’elle s’inscrivait dans une tradition française de l’autofiction cinématographique mais plus encore dans la grande maîtrise des metteurs en scène burlesques qui ne peuvent déléguer à un(e) autre qu’eux-mêmes leur talent comique. Des grands burlesques américains à Nanni Moretti, on n’est jamais mieux servi que par soi-même pour faire de son corps la palette infinie des désordres émotionnels.

Dominique Païni


 

Valeria Bruni Tedeschi après il est plus facile pour un chameau… et Un château en Italie poursuit sous forme d’autofiction l’exploration des liens familiaux. 

A la place du château en Italie une magnifique villa du bord de mer sur la côte d’Azur constitue le cadre de trois séquences théâtralisées et d’un épilogue. La forme rappelle le goût de la réalisatrice pour la mise en scène qu’elle découvre aux Amandiers avec Patrice Chéreau. 

Après une difficile rupture amoureuse aux abords du CNC (sic), Anna, candidate, nous le supposons, à l’avance sur recettes rejoint avec sa fille Célia sa famille dans ce paradis tourmenté. Comme dans les pièces de Marivaux ou de Molière les domestiques en nombre (cuisinier, intendant, femme de chambre, vigile…) forment en miroir un monde double de prolétaires aussi déjantés que les propriétaires. La famille est artiste : la mère pianiste Louisa (la réelle Marisa Borini) le compagnon plus jeune est chanteur d’opéra. Il y a comme dans Festen un dîner familial où les rancœurs et les secrets explosent à la tête des protagonistes. Pourtant la cruauté des mots s’évapore dans une mise en scène burlesque, des répliques triviales. Le brouillon que dessine Valeria Bruni Tedeschi est à l’image du dérèglement familial réglé par une psychanalyse sauvage. Et le titre lui-même évoque le titre homonyme de Maxime Gorki, cette pièce de la désintégration d’une bourgeoise oisive. 

Sous ses aspects désinvoltes la mise en scène fait l’inventaire de nombreuses situations, intimes, sociales et politiques. L’enfant sénégalaise adoptée, Célia, le seul personnage sensé du film déploie son regard amusé sur des adultes infantiles. Les discussions politiques entre Nathalie (Noémie Lvovsky) et Jean le beau-frère d’Anna (Pierre Arditi) dans la piscine sont une gourmandise de drôlerie. Les caprices de riches viennent se heurter au bougonnement syndiqué des domestiques. Les sangliers piétinent les plates-bandes. Et le film voulu par Anna, une belle évocation du frère mort du sida (encore un épisode personnel joué par Vincent Perez) amorcé dans la villa, est finalement tourné. L’acteur et son fantôme hantent la réalisatrice dont le chagrin exposé par l’art n’en semble pas moins authentique. 

Dernière pirouette de ce film diablement malin sous ses dehors débraillés, la brume envahit la dernière scène du film en abyme. Serait-ce l’entrée assumée dans le fantastique ? Non, il s’agit en l’occurrence d’un dérèglement technique de la projection de brume. Tout l’art de la réalisatrice est là : désamorcer le mélo, le tragique par l’auto dérision et le retournement cocasse de situations graves. 

Sans oublier la magnifique bande son constituée d’airs de Mozart, Rossini, les airs chantés et joués par les personnages, la musique de Paolo Buovini, tout un bain lyrique sur lequel flotte chacun comme sur un esquif bousculé par une houle artificielle produite par des effets spéciaux.

Annie Demeyere